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Face aux provocations de Donald Trump, le Mexique cherche la riposte adéquate

Enrique Peña Nieto et Donald Trump à Mexico en août 2016
Enrique Peña Nieto et Donald Trump à Mexico en août 2016

Entre attendre et voir venir, ou rendre coup pour coup, le Mexique, en première ligne face aux décrets protectionnistes et anti-immigration du président américain, tente de garder son sang-froid tout en montrant ses muscles. L’incertitude et les divisions nuisent à l’élaboration d’une riposte claire. Mais une chose est sûre: le pays doit réduire la dépendance de son économie à celle d’un voisin désormais hostile. 

L’une des conséquences tangibles de la charge quasi quotidienne de Donald Trump contre le Mexique depuis son investiture il y a à peine plus de trois semaines, est un accès de fierté nationale. Elle se manifeste notamment sur les réseaux sociaux où ont fleuri les appels au boycott de Mac Do, Starbucks ou Coca Cola. Le nationalisme n’est jamais très loin dans ce pays qui s’est fait déposséder au dix-neuvième siècle par les Yankees de la moitié de son territoire (dont le Texas et la Californie). Mais l’intensité des relations développée depuis plus de 20 ans par les deux voisins l’avait fait oublier. Le mépris ahurissant dont le candidat puis président Trump accable depuis des mois le voisin et allié privilégié des Etats-Unis, a clairement réveillé le sentiment anti-gringo.

Résultat, le président mexicain Enrique Peña Nieto (EPN), dont la popularité s’est effondrée à 12% (voire moins, selon les instituts de sondage), est parvenu à faire, pour un temps, l’union sacrée autour de lui: d’abord en refusant de se rendre à Washington le 31 janvier (après que Trump a conditionné sa visite à son accord pour payer le mur frontalier), puis en appelant à l’unité nationale, qualifiée de «pierre angulaire de [notre] stratégie et de [nos] actions, à l’intérieur du pays et en direction de l’extérieur».
La semaine dernière, il a aussi appelé au patriotisme économique, annonçant que «son gouvernement et les entreprises allaient unir leurs efforts pour relancer le label «fabriqué au Mexique».

Depuis des mois, EPN est critiqué, voire détesté par une majorité de Mexicains pour son incapacité à juguler la violence, pour sa complaisance à l’égard de la corruption généralisée et le narcotrafic qui gangrènent le pays, accessoirement pour sa récente décision d’augmenter le prix de l’essence et aussi, donc, pour sa patience jugée servile à l’égard du nouveau président américain, qu’il a même reçu en août dernier à Mexico. Sa nouvelle attitude de fermeté _ même si elle est tardive et imprégnée de calcul politique _ a donc été saluée par sa majorité, son opposition et l’opinion. Mais cette unité risque de ne pas durer, tant les divisions entre le camp EPN et le reste de la classe politique sont immenses. Dernier épisode en date, la polémique autour de la récente conversation téléphonique entre les deux chefs d’Etat : Trump affirme avoir proposé à son homologue d’envoyer ses troupes de l’autre côté de la frontière pour l’aider à lutter contre les cartels (une humiliation de plus), EPN dément que le sujet ait été abordé.

Mur, expulsions, taxes, intimidations …

Pour le moment, donc, aucun consensus clair ne se dégage à la tête du pouvoir mexicain pour trouver la riposte adéquate à la nouvelle donne américaine. Or, même si l’incertitude sur les suites du mandat de Trump reste entière, la menace est réelle: à coups de signatures de décrets, de tweets et de déclarations tonitruantes, Donald Trump fait tout ce qu’il peut pour montrer au monde _ et avant tout à son électorat_ qu’il est bien décidé à tenir ses promesses de campagne. En l’occurrence: construire un mur sur sa frontière sud, pour compléter les 1000 km de barrière déjà construite par Bush et tarir ainsi le flux des clandestins ; le faire rembourser par le Mexique même si celui-ci s’y refuse, soit en taxant les «remesas» (envois des immigrés à leurs familles), soit en taxant de 20% les importations mexicaines; renégocier au plus vite l’Alena, accord de libre échange en 1994, voire en sortir ; freiner coûte que coûte les délocalisations en menaçant les entreprises installées au Mexique _ constructeurs automobiles en tête_ de taxer à hauteur de 35% leurs ventes aux USA. On se souvient qu’il a explicitement menacé de rétorsions Toyota, General Motors et BMW, et que Ford a renoncé à un investissement d’1,6 milliard de dollars au Mexique avant même son investiture.

Quelques chiffres suffisent pour prendre la mesure de l’enjeu pour le Mexique: environ 35 millions de personnes d’origine mexicaine vivent actuellement aux Etats-Unis, dont une douzaine sont citoyens mexicains et 5 à 6 millions sont sans papiers (mais, pour certains, vivent depuis longtemps sur le territoire et y ont fait naître des enfants). Quelque 80 % des exportations mexicaines sont destinées au marché US, soit plus de 300 milliards de dollars en 2015. Le pays est le septième constructeur automobile mondial, une industrie puissante mais très dépendante de la proximité avec les USA et sans marque nationale. La rupture des liens commerciaux développés depuis 22 ans via l’Alena plongerait le pays dans la récession; l’expulsion massive des immigrés illégaux et la chute des « remesas » (25 milliards de dollars par an) seraient également catastrophiques.

Le Mexique sert de cobaye et d’avertissement à l’intention du reste du monde

Face à la menace, la tentation des représailles est grande pour la deuxième économie latino-américaine. Le ministre mexicain de l’Economie, Ildfonso Guajardo, a d’ailleurs rapidement annoncé qu’en cas d’imposition de taxes, «Mexico riposterait immédiatement». Reste à savoir, d’une part, si le Mexique a les moyens de la surenchère et, d’autre part, si une telle stratégie serait payante face à l’Ovni Trump. D’autant que le Mexique, en première ligne, fait aussi figure de bouc émissaire,voire de ballon d’essai dans la politique étrangère de Trump. Comme le souligne le chercheur Jean-Jacques Kourliandsky sur Slate, le Mexique est le «maillon faible » dans la guerre commerciale que Trump entend mener avec le reste du monde. «La Chine est un plus gros morceau, face auquel les moyens de rétorsions sont moins évidents. Trump a donc choisi l’adversaire le moins en mesure de riposter. Il est filmé en train de signer les décrets ; il se fera peut-être filmer devant les premiers travaux du mur : cette mise en scène médiatique destinée à montrer qu’il est fidèle à ses engagements, sert aussi d’avertissement à l’intention des autres pays».

Conscient du déséquilibre des forces, le Mexique semble enclin à adopter une politique plus subtile que la surenchère. EPN s’est dit à maintes reprises d’accord pour renégocier l’Alena, «mais à condition d’en améliorer les termes », et a déjà entamé 90 jours de consultations internes avec son Congrès, le secteur privé et la société civile pour préparer une position nationale. Il a surtout intérêt à faire valoir les dégâts que causerait à l’industrie américaine une rupture de la relation bilatérale, et à encourager les réactions _ pour le moment timides _ des entreprises US.

Etroite imbrication des deux économies

«Le commerce à l’intérieur de la zone Amérique du Nord a triplé en moins de 10 ans», m’expliquait en décembre dernier l’ambassadeur du Mexique à Paris Juan Manuel Gómez Robledo. Aujourd’hui, nos échanges représentent un million de dollars par minute, soit plus d’ 1,4 milliard par jour. Le PIB de la zone pèse 20 milliards de dollars par an» .
Les deux économies sont désormais si étroitement imbriquées qu’un détricotage aurait de lourdes conséquences pour les deux parties. Selon la US Chamber of Commerce, environ 6 millions de jobs américains dépendent des échanges entre les deux pays. Avant qu’un produit fini n’atterrisse sur son lieu de vente américain, il a franchi plusieurs fois la frontière (parfois 8 fois). Selon le Département du Commerce, environ 40% des pièces d’un produit étiqueté mexicain viennent des Etats-Unis.
D’autre part, il est clair que la hausse des taxes, qu’il s’agisse de payer le mur ou de stopper les délocalisations, sera in fine supportée par les consommateurs américains, via leur répercussion sur les prix.
Concernant les Mexicains sans papiers, dont Trump entend stopper l’afflux via son mur, Juan Manuel Gómez Robledo rétrorque que, depuis la crise financière de 2008, «les flux migratoires se sont inversés: aujourd’hui, les Mexicains qui rentrent au pays sont plus nombreux que ceux qui partent.» Une inversion de tendance démontrée par une étude récente du Pew Research Center . Certes, la pression migratoire reste très forte sur la frontière, mais elle est davantage liée à l’afflux actuel de migrants en provenance d’Amérique centrale qui transitent par le Mexique, malgré les efforts de Mexico pour protéger sa frontière sud.

Cap sur l’Europe et la France …

Cela dit, si Mexico veut riposter sur le terrain des taxes, il peut lui aussi le faire: il est le deuxième acheteur mondial de biens américains (236 milliards de dollars en 2015). Possible, donc, qu’il ne se refuse pas cette vengeance sur un certain nombre de produits ciblés. L’influence des investisseurs mexicains présents sur le sol des USA (Carlos Slim en tête), notamment auprès du Congrès, n’est d’autre part pas à négliger.
Mais il est plus probable qu’il accroisse massivement son effort pour diversifier son économie, déjà très ouverte, vers le reste du monde. D’autant que la sévère chute que le peso mexicain a subie à l’arrivée de Trump, avantage les exportations du pays.

Il se tourne déjà vers l’Union européenne, avec laquelle les discussions pour lifter et étendre l’accord de libre échange de 2000, viennent d’être relancées. Et notamment vers la France, impatiente elle aussi de profiter du vide laissé par un éventuel reflux américain. Business France mise ainsi beaucoup sur le forum d’affaires qu’il organise les 25 et 26 avril prochains à Mexico où il attend une centaine d’exportateurs et d’investisseurs français .

… et surtout sur l’Amérique latine et l’Asie

Mexico va aussi très probablement accentuer son mouvement de bascule vers le Sud, c’est à dire vers le continent latino-américain, qu’il a souvent négligé pour privilégier ses liens avec l’Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada. Et ce, d’autant plus que l’Amérique latine toute entière s’inquiète des conséquences de l’arrivée d’un Trump isolationniste à la Maison Blanche. Paradoxalement, ce dernier pourrait faciliter la relance des processus d’intégration en Amérique latine, pourtant en berne ces dernières années. Le Mercosur et l’Alliance du Pacifique (dont fait partie le Mexique aux côtés de la Colombie, du Pérou et du Chili) ne se sont jamais autant parlés. En outre, le virage vers l’Asie va s’accentuer au niveau de toute la zone, et notamment via l’Alliance du Pacifique. Des liens latino- asiatiques déjà réels et que la sortie des Etats-Unis du TTP (Traité Trans Pacifique) ne peut qu’accélérer. En embuscade, la Chine devrait ainsi accroître sa présence en Amérique latine, où elle s’est déjà massivement implantée, commercialement, physiquement et en termes de soft power. Et se révéler, sans doute, la grande gagnante du désintérêt de l’Oncle Sam pour le sous-continent.