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Coup d’envoi de la campagne électorale mexicaine

Enrique Peña Nieto au Forum économique Mondial en 2010
Enrique Peña Nieto au Forum économique Mondial en 2010

Le PRI, parti qui a dominé la vie politique du pays pendant 70 ans avant d’être éjecté du sommet de l’Etat en 2000, revient en force, alors qu’on le croyait usé et décrédibilisé. Son candidat à l’élection présidentielle du 1er juillet, Enrique Peña Nieto, est le favori des sondages, loin devant le parti de droite de l’actuel président Felipe Calderon, et l’opposition de gauche.

La campagne électorale a officiellement commencé le 30 mars au Mexique, pour une durée de trois mois avant les élections générales (1) du 1er juillet. Selon la Constitution mexicaine, le président sortant Felipe Calderon, membre du parti de droite PAN (Partido Accion Nacional) ne peut se représenter pour un second mandat. Mais son bilan calamiteux pèse évidemment sur la campagne de la candidate de son parti, Josefina Vazquez Mota. Le mandat de Calderon aura en effet été essentiellement marqué par la guerre totale qu’il a engagée dès son arrivée au pouvoir en 2006 contre les cartels de la drogue, dans un déchaînement de violence qui n’a pas atteint son objectif _ triompher des narcotrafiquants_ mais a fait déjà plus de 50.000 morts. Une politique jusqu’au boutiste très controversée qui va dominer les débats de la campagne.

Selon le dernier sondage publié par le quotidien Reforma, Josefina Vazquez Mota, 51 ans, plafonne autour de 32% des intentions de vote, alors que le candidat du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel, type social démocrate), Enrique Peña Nieto, caracole en tête à 45% et que le leader de l’opposition de gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, 59 ans, ne récolte que 22%. Un sondage à prendre certes avec prudence puisque 27% des quelque 77 millions d’électeurs se déclarent indécis. Mais l’avance de Peña Nieto, un sémillant avocat de 45 ans, ancien gouverneur de l’Etat de Mexico, ne se dément pas, sondage après sondage, montrant que le PRI, chassé de la présidence en 2000 après 71 ans de règne sur la vie politique mexicaine, pourrait bien reprendre le pouvoir.

Même si la plupart des Mexicains estiment que l’offensive militaire du PAN contre le narcotrafic est un échec et a aggravé lourdement l’insécurité dans tout le pays, les partis rivaux auront du mal à proposer une alternative. Le vice-président démocrate américain Joe Biden a d’ailleurs rencontré début mars les trois candidats mexicains, et a affirmé à l’issue de ces entrevues qu’ils s’étaient engagés à poursuivre la lutte contre les cartels. Les Etats-Unis, premiers destinataires de la drogue mexicaine, avaient d’ailleurs soutenu la politique dure de Calderon. Lopez Obrador a néanmoins annoncé sa volonté, s’il est élu, de retirer progressivement à l’armée ce rôle de sécurité intérieure pour la confier à une police nationale rénovée.

Que le PRI, parti longtemps hégémonique, souvent assimilé à une classe politique corrompue et clientéliste, fasse la course en tête, est a priori surprenant. D’autant que son candidat est davantage considéré comme un produit marketing (présentant bien mais embarrassé dès qu’il doit sortir des discours préparés), que comme un homme de conviction. Mais ses deux rivaux n’ont pas encore réussi à inverser la tendance. Certes Josefina Vazquez Mota n’est pas la candidate de Felipe Calderon (qui lui préférait Ernesto Cordero , ex ministre des Finances ). A priori, ce serait plutôt un bon point mais elle a le tort d’avoir été ministre (du Développement social puis de l’Education) dans les deux gouvernements PAN depuis 2000, celui de Vicente Fox puis celui de Calderon qui ont, selon une bonne partie de l’opinion, échoué à lutter contre la corruption et l’impunité mais aussi à mener les réformes nécessaires. En outre, divers scandales ont éclaboussé des leaders du PAN , rappelant aux Mexicains les pires pratiques du PRI .

Où sont passés les électeurs de Lopez Obrador ?

Quant à Lopez Obrador, candidat malheureux en 2006 , il a de nouveau été désigné par son parti, le PRD, et les autres partis de gauche comme le meilleur candidat mais bizarrement il ne décolle pas de la troisième place. En 2006, les résultats entre lui et Calderon ont été si serrés _ 0,58% d’écart après recompte des voix ! _ qu’il les a déclarés truqués, occupant pendant deux mois avec ses partisans la place Zocalo et l’avenue Reforma de Mexico. Un comportement extrême qui a pu détourner de lui un certain nombre de Mexicains modérés, pourtant séduits par ses idées et son intégrité. Certes, il se montre aujourd’hui nettement moins radical, promettant aux entreprises la stabilité fiscale et le respect des contrats privés dans le pétrole. Mais depuis 6 ans, il n’a cessé de sillonner le pays , faisant campagne et cultivant ses réseaux, au risque peut-être d’une certaine lassitude aujourd’hui.

Faiblesse des institutions

Le professeur de l’UNAM (Universidad Nacional Autonoma de Mexico ) Marcela Bravo Ahuja, qui s’exprimait récemment à Paris devant l’Association France Amériques (2), relativise l’avance du PRI. « Ce n’est que le produit de sondages pas toujours très fiables », affirme-t-elle. Mais le PRI garde selon elle une base redoutable : «depuis 2000, il s’est balkanisé. Mais il reste très présent au niveau régional [il gouverne 20 des 32 états ], d’où il tire une bonne partie de sa force » . C’est aussi un problème car les nombreux députés et gouverneurs PRI qui font la loi chez eux, supportent mal la discipline du parti et notamment la désignation autoritaire d’un candidat à la présidentielle. «Le parti, ajoute Marcela Bravo Ahuja, souffre d’une grande instabilité de son électorat, mais aussi de ses propres troupes ».

Pourtant, une victoire du PRI pourrait paradoxalement renforcer la démocratie mexicaine, estime-t-elle. « Le Mexique a certes beaucoup changé en 30 ans. Mais pour aller au-delà, il faut rendre l’Etat plus fort et plus efficace, créer une relation plus nette entre l’Etat et les partis de gouvernement » . Car les institutions mexicaines restent fragiles et le système politique « par essence ingouvernable » doit être modifié. Des réformes majeures, qu’elles portent sur la fiscalité, le droit du travail ou l’énergie, sont bloquées par le Parlement. Pour espérer passer une loi, le pouvoir doit certes y avoir la majorité mais même alors, ce n’est pas gagné tant les alliances sont mouvantes et peu claires. Or, à ce petit jeu subtil, le PRI, très puissant au Parlement, a toujours excellé. L’hypothèse optimiste serait donc qu’en tenant la présidence et le Parlement, le PRI pourrait enfin remettre la machine en marche. A condition qu’il soit guéri de ses vieilles méthodes combinardes, ce qui reste à prouver.

Anne Denis

(1) Le premier juillet auront lieu l’élection présidentielle (scrutin majoritaire uninominal à un tour), les élections législatives (pour renouveler les 128 sièges du Sénat et les 500 sièges de la Chambre des députés), et celles du maire de Mexico et des gouverneurs d’une dizaine d’Etats.

(2) Dans le cadre d’une table ronde organisée par la Chaire des Amériques de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.