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Tabaré Vazquez, le retour

José Mujica et Tabaré Vazquez le 1er mars 2015
José Mujica et Tabaré Vazquez le 1er mars 2015

Dix ans après, Tabaré Vazquez revient à la présidence de l’Uruguay, succédant au très populaire « Pepe » Mujica. Même si les deux hommes font partie de la même coalition de gauche modérée, leurs sensibilités s’opposent, notamment au sujet des  réformes progressistes menées par Mujica. Le nouveau président devra aussi gérer le ralentissement de l’économie. 

 

Exit le célébrissime José Mujica, ex guerillero mondialement connu pour son style ultra simple et ses réformes de société avant-gardistes, très populaire mais à qui la Constitution interdit de se représenter pour un deuxième mandat consécutif. Tabaré Vazquez, qui lui succède à la tête de l’Uruguay (après l’y avoir précédé), est presque son exact opposé, bien que tous deux soient issus de la même coalition de gauche, le Frente Amplio. Dimanche, ce dernier a prêté serment avec le sérieux et la sobriété qui le caractérisent, en évoquant longuement le « libertador » José Artigas, et en citant l’égalité, la liberté, le respect et la tolérance comme « référents » de son nouveau mandat de cinq ans. Ce cancérologue franc-maçon de 75 ans fut le premier président socialiste de ce petit pays d’à peine 3,5 millions d’habitants. En novembre dernier, il a remporté l’élection présidentielle haut la main, avec 53,6% des suffrages, face au député de centre droit Luis Lacalle Pou. Fort d’une autorité acquise durant son premier mandat, il a d’ailleurs formé son cabinet dans la foulée, sans consulter son prédécesseur.

A 79 ans, « Pépé Mujica » devient, lui, sénateur, et continuera donc de vivre avec sa femme dans la modeste maison qu’il avait continué d’habiter durant son mandat, tout comme il n’avait jamais cessé de conduire son antique et fameuse coccinelle bleu ciel. Il laisse à son successeur un pays plutôt en bonne santé économique avec un chômage d’environ 6%, un taux de pauvreté de l’ordre de 12% (- 40% en 10 ans) et un PIB par habitant le plus haut de la région. Après 11 années consécutives de hausse dynamique du PIB (+4,4% en 2013),  l’économie de l’Uruguay affiche donc de bien meilleurs scores que celle de ses grands voisins brésilien et argentin. Mais le tableau s’est assombri en 2014, avec un ralentissement de la croissance (autour de 2,8%), précisément à cause des difficultés économiques de ces mêmes voisins qui sont aussi ses principaux partenaires commerciaux. L’inflation atteint 8,6% et le déficit budgétaire s’est creusé autour de 3,5%. Cela dit, malgré le ralentissement des investissements brésiliens et argentins, le marché uruguayen, très ouvert, devrait selon la Coface garder sa place de deuxième destination d’IDE en Amérique du Sud, après le Chili, grâce notamment à la bonne gouvernance et à la stabilité du pays.

En revanche, José Mujica laisse d’importants chantiers toujours en rade (infrastructures, santé), dont la très urgente réforme de l’éducation, entamée par Vazquez avant l’arrivée au pouvoir de Mujica et, depuis, laissée en friche (l’Uruguay se traîne dans les profondeurs du classement PISA de l’OCDE) .

Tabaré Vazquez devra donc stimuler la croissance du pays, tout en s’attaquant à des réformes sans doute coûteuses. Parmi les actions visant à générer des économies ou de nouvelles ressources, sont évoquées des mesures pour améliorer la gestion de l’Etat ou la création d’un impôt sur les grandes propriétés terriennes. Il est aussi attendu sur la question de la sécurité, thème principal de la campagne électorale puisque, tout en restant l’un des pays les plus sûrs de la région, l’Uruguay connaît une hausse réelle de la criminalité liée au narcotrafic.

Quid de l’héritage sociétal de Mujica ?

L’une des grandes inconnues est de savoir comment le nouveau président, nettement plus conservateur sur les questions de société que son audacieux prédécesseur et allié politique, va gérer l’héritage de ce dernier dans ce domaine. Cet héritage est conséquent, puisque trois textes majeurs autorisant le mariage gay, le droit à l’avortement et la légalisation de la production et de la vente du cannabis sous autorité de l’Etat ont été adoptés pendant le mandat de Pepe, qui n’a pas ménagé sa peine pour les défendre. La loi sur le cannabis, véritablement révolutionnaire et dont la mise en oeuvre sera scrutée par le monde entier, a été votée peu avant la fin du mandat de Mujica et est donc en cours d’application. Or, Tabaré Vazquez a déjà publiquement exprimé ses réserves sur la vente du cannabis en pharmacie, ce que prévoit le texte. Il faut dire que ce médecin, qui a perdu plusieurs proches d’un cancer du poumon, est férocement antitabac. L’Uruguay lui doit une des règlementations les plus restrictives au monde en la matière, ce qui a d’ailleurs valu il y a 5 ans à ce petit Etat une plainte devant le Cirdi du géant Philip Morris, toujours en cours !