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Les investisseurs effarouchés par l’arrivée d’Humala au pouvoir

Ollanta Humala acclamé par ses partisans
Ollanta Humala acclamé par ses partisans

Le nouveau président nationaliste de gauche, élu par les nombreux Péruviens exclus de la croissance est, pour les milieux d’affaires, toujours associé au Vénézuélien Hugo Chavez , malgré ses propos modérés depuis le début de la campagne. Avec lui, le modèle économique du pays devrait évoluer.

 

D’une courte tête (51,5% des suffrages), la candidat de gauche Ollanta Humala a donc ravi, dimanche 5 juin, la présidence du Pérou à sa rivale Keiko Fujimori, fille de l’ancien président autocrate Alberto Fujimori , actuellement emprisonné pour corruption et violation des droits de l’homme. Si cette victoire, qui avait échappé à Humala en 2006, a déclenché la joie des quartiers pauvres de Lima et des populations du centre du pays, les classes blanches privilégiées et les milieux d’affaires _ qui s’étaient repris à espérer une victoire de Keiko Fujimori_ sont inquiets, voire carrément paniqués. Dès lundi, la bourse de Lima dégringolait de 12,5% malgré une fermeture prématurée et les prédictions apocalyptiques fleurissaient sur Twitter. Aujourd’hui, les acteurs économiques guettent de la part du nouvel homme fort du Pérou tout signe susceptible de calmer leurs angoisses, telles par exemple les premières nominations au gouvernement ou à la Banque Centrale.

Rien de très surprenant à cet émoi. L’élection de Lula en 2002 avait provoqué un mini crakh à la bourse du Brésil avant que l’ancien syndicaliste métallo ne devienne finalement la coqueluche des marchés grâce à sa gestion orthodoxe des finances publiques. Or, Humala répète depuis des mois que son modèle est celui de Lula et non plus du très radical président vénézuélien Hugo Chavez. Et depuis son élection, il multiplie les déclarations rassurantes. «Nous pensons que la bonne voie pour le Pérou, c’est la sienne, il n’a pas besoin de copier les autres pays », a-t-il affirmé à l’agence Reuters. Même s’il souhaite se rapprocher du Brésil, «les Etats-Unis restent un partenaire stratégique du Pérou », a-t-il ajouté, affirmant vouloir collaborer avec eux pour lutter contre le trafic de drogue (le Pérou est devenu le premier producteur mondial de feuilles de coca devant la Colombie).

Mieux redistribuer les richesses

Malgré tout, la méfiance est grande. Entre les deux tours, le journal financier «Gestion» recommandait déjà à ses lecteurs investisseurs de «rester liquides pendant 5 mois ». Il est clair d’ailleurs que, sauf à se renier complètement, Humala, qui sera investi le 28 juillet prochain, va initier de réels changements par rapport aux deux décennies ultra libérales qui viennent de s’écouler. Car l’élection d’Humala soulève des attentes immenses auprès des millions de personnes oubliées du miracle péruvien.

Certes, le pays connait depuis plusieurs années une croissance quasi asiatique (8,8% en 2010, 7,5% attendus en 2011), ses finances publiques sont saines, mais les inégalités restent proches des records mondiaux. Pendant que Lima et les villes côtières prospèrent, la malnutrition sévit encore dans les régions andines.

Pendant la campagne, Ollanta Humala a parlé de renégocier les traités de libre échange que le pays a passés avec la plupart de ses partenaires , Mexique, Etats-Unis, Chine… L’Union européenne vient de parapher un accord avec la Colombie et le Pérou et Humala pourrait très bien choisir de ne pas le ratifier en l’état. L’ouverture commerciale quasi-totale du pays _ à 3,3%, les droits de douane y sont les plus bas du continent _  pourrait être révisée.

Autre gros dossier : la récupération par le pays de sa souveraineté sur ses ressources naturelles, à commencer par les mines. Le sous-sol du Pérou est très riche en cuivre et zinc (numéro deux mondial), en argent (numéro un mondial), en or. La production de minerais représente seulement 6% du PIB mais 60% des exportations. Toutes les grandes compagnies internationales sont là : américaines, australiennes et, surtout, canadiennes. Or, le fameux «contrat de sécurité juridique et fiscale » leur garantit la même fiscalité réduite qu’au moment de l’octroi des concessions, après les privatisations des années 90. Mais depuis, le rendement de la production minière a explosé et les marges des compagnies aussi. Cette richesse phénoménale ne profite donc que très peu au pays, ni en termes de recettes ni en termes d’emplois, le secteur ne réclamant que peu de main-d’oeuvre. L’activité minière rencontre en outre une hostilité croissante de la part des populations locales, en raison de ses nuisances environnementales. Le gouvernement Garcia a même dû annuler un vaste projet sous la pression de violentes manifestations. Or, ce secteur concentre l’essentiel des quelques 40 milliards de dollars d’investissements étrangers (américains, européens, asiatiques) prévus dans le pays dans les 5 à 10 ans. A elle seule, la Chine a déjà programmé 11 milliards de dollars. Si, comme Humala l’a promis, la fiscalité du secteur est revue à la hausse, certains projets pourraient donc être remis en cause.

Vastes projets portuaires et routiers

Plus généralement, le flux annoncé d’IDE dans ce pays longtemps négligé pourrait être freiné en plein élan (la Cnuced estime à 45% leur hausse en 2010). Il faut dire que les investisseurs ont redécouvert ce pays jugé à la fois attractif et juridiquement stable, qui a en outre très bien résisté à la crise mondiale de 2008 : 45 milliards de dollars de réserves, un excédent budgétaire tel que le pays songeait récemment à se doter d’un fonds souverain de 6 milliards, une fiscalité basse, une inflation sous contrôle autour de 3%… Le gouvernement a tout fait pour encourager cette attractivité. «La logique libérale a été poussée très loin. Il ne reste quasiment aucun secteur sous contrôle de l’Etat », remarque un observateur. Alan Garcia voulait faire du Pérou « un hub entre l’Amérique latine et l’Asie ». Le méga projet d’un port en eaux profondes à Callao, près de Lima, attribué en avril dernier à APM, filiale de Maersk, en est une illustration. Objectif : créer une voie routière avec le Brésil pour acheminer les matières premières agricoles du Mato Grosso à Callao puis les exporter vers l’Asie.

Le candidat Humala n’a pas ménagé ses efforts pour rassurer les milieux économiques sur ses intentions. L’objectif, répète-t-il, n’est pas de casser le modèle économique actuel mais de mieux redistribuer les richesses auprès des couches modestes de la population. Malgré tout, observe un diplomate, « son programme en matière de ressources naturelles préconise des solutions très proches de la Bolivie, autrement dit la dénonciation des concessions au profit de contrats de service ». Et de rappeler, relayant l’inquiétude des entreprises : « Comme au Venezuela, plus de la moitié des secteurs productifs ont été nationalisés en Bolivie. Et la plupart des investisseurs ont déserté le pays». Des inquiétudes contrebalancées par le fait que la coalition d’Humala, Gana Perù, n’a pas la majorité au Parlement. Il devra donc négocier avec la formation de l’ex président Alberto Toledo, Peru Posible, (centre droit), qui lui a apporté son soutien avant le deuxième tour. L’appui de la vingtaine de députés acquis à Toledo lui sera indispensable pour faire passer ses réformes. Un gage de modération pour les milieux d’affaires.

Anne Denis