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« L’ALENA, traité de libre-échange nord-américain, est dépassé »

Christian Deblocq, professeur à l'UQAM, à Rennes en novembre 2011
Christian Deblocq, professeur à l'UQAM, à Rennes en novembre 2011

VIDEO. Pour Christian Deblocq, professeur à l’Université du Québec à Montreal (UQAM), l’accord de libre échange entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada vieillit mal. Dix huit ans après son entrée en vigueur, il en dresse un bilan très mitigé.

A quoi sert l’ALENA ? A pas grand-chose. Peut-on vraiment parler d’intégration ? Rien n’est moins sûr. Tel est le constat que dresse Christian Deblocq, économiste québécois, professeur à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et spécialiste des questions d’intégration économique. Il a longuement développé cette thèse lors du colloque annuel de l’IDA (Institut des Amériques) en novembre dernier à Rennes.

L’accord nord-américain de libre échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA, ou NAFTA en anglais) a été présenté , lors de son entrée en vigueur le 1er janvier 1994, comme le plus grand accord de ce type au monde, mais aussi comme une alternative au modèle communautaire européen, rappelle-t-il, avant d’ajouter: « Il a eu son temps de gloire jusqu’en 2000. Mais depuis, les problèmes se multiplient et il est clair qu’on ne va pas vers plus d’intégration, au contraire ». Il souligne ainsi qu’un Mexicain ne peut toujours pas se rendre au Canada sans visa (l’inverse n’est pas vrai). «Cet accord a vieilli, et déçu. Aujourd’hui, le Canada s’interroge sur l’utilité de sa relation avec le Mexique et se demande si revenir à une bonne vieille relation bilatérale avec son « ami » américain ne serait pas préférable ».

Pour lui, il y a, à l’origine de cet accord, un malentendu (ou une tromperie) : « on l’a vendu au Canada et au Mexique comme un tremplin vers le reste du monde, comme une possibilité de se servir des Etats-Unis pour accéder à d’autres marchés mondiaux ». En fait, ajoute-t-il, ces deux pays sont restés « piégés » par le marché américain. Les chiffres sont éloquents : «Même si la tendance est à la baisse, les Etats-Unis représentent encore 75 à 80% des exportations canadiennes et mexicaines ». Le Canada est le premier fournisseur de pétrole des USA, le Mexique le second. Dans ce contexte, « le plus étonnant, c’est qu’aujourd’hui le Canada et le Mexique ne font plus venir des Etats-Unis que 50% à peine de leurs importations totales, le reste venant de plus en plus de l’extérieur, de Chine bien sûr mais pas seulement ». Autrement dit, les deux partenaires d’Oncle Sam restent enchainés à lui en termes de débouchés mais comptent de moins en moins sur lui pour leurs achats.

Desserrement des liens entre Etats-Unis et Amériques au profit de l’Asie

Christian Deblocq met aussi l’accent sur une tendance de fond : « depuis le début des années 2000, les entreprises américaines s’éloignent de leur bassin des Amériques au profit de l’Asie. Dans les années 80, elles ont cherché à créer des chaînes de valeurs régionales, en Amérique du Nord et centrale. Mais cette construction était fragile et ces chaînes se sont déplacées vers le continent asiatique ».

Le bilan de l’ALENA est décevant en termes d’échange, mais aussi en terme d’intégration. «C’est un simple contrat liant les pays entre eux , le sujet n’est pas l’intégration ou alors, au sens le plus étroit du terme. Un terme qui fait plutôt peur aux trois partenaires », remarque-t-il. Il n’y a pas de volonté de construire des institutions communes, aucun partage de souveraineté.

Nouvelle diplomatie commerciale

Initialement, l’ALENA devait être un modèle, une vitrine, « la démonstration du développement de la démocratie par le libre échange ». Ce fut en tout cas, selon lui, le coup d’envoi de la course des pays aux accords bilatéraux (2500 dans le monde aujourd’hui), chacun cherchant son marché préférentiel. Cette stratégie de banalisation des accords bilatéraux, qui a démodé l’ALENA, a été largement initiée par les Etats-Unis et leur « nouvelle diplomatie commerciale». Au détriment notamment, du multilatéralisme. Christian Deblocq développe cette dernière analyse dans la vidéo ci-dessous :