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Evo Morales autorisé à briguer un troisième mandat en 2014

Evo Morales montrant une feuille de coca
Evo Morales montrant une feuille de coca

La Cour constitutionnelle a autorisé le président à postuler pour un troisième mandat en 2014. L’opposition s’insurge. Indien et socialiste, Evo Morales est, lui, de plus en plus confronté aux objectifs contradictoires de son régime.

Evo Morales s’incruste. Son élection en décembre 2005 à la tête de la Bolivie avait constitué un évènement puisque pour la première fois, un président d’origine amérindienne _ également leader syndical des cocaleros (producteurs de coca) _ prenait les rênes du pays, avec son parti, le MAS (Mouvement vers le socialisme). Brillamment réélu fin 2009, il ne ne pouvait, en théorie, se représenter en 2014, pour raisons constitutionnelles. Or, la Cour Constitutionnelle a pourtant estimé le 29 avril dernier qu’«en vertu de la nouvelle Constitution approuvée en 2009», l’élection de 2014 serait la première réélection d’Evo Morales _ sous-entendu la première depuis l’adoption de la nouvelle constitution.

La ficelle est un peu grosse, cette Constitution n’autorisant que deux mandats consécutifs de 5 ans et Evo Morales ayant lui-même déclaré en 2008 qu’il ne se représenterait pas après 2010. L’opposition a donc aussitôt contesté cette interprétation, et demandé que l’élection de 2005 soit prise en compte. Pour Samuel Doria Medina, leader de l’Unité nationale (centre-droit), la Cour «se place en marge de la loi ». Juan del Granado, ex-allié du président devenu son adversaire, président du «  »Mouvement Sans Peur »" (MSM, social-démocrate), a lancé : «Nous affronterons le candidat Evo Morales, inconstitutionnel et illégitime».

Certes, Evo Morales a des chances d’être réélu. Selon un sondage publié dimanche par le quotidien El Deber, 41% des électeurs voteraient pour lui si les élections avaient lieu aujourd’hui, contre 17% pour Doria Medina. A l’étranger aussi, malgré la nationalisation de pans entiers de l’économie, le président bolivien n’a jamais eu l’image sulfureuse du président vénézuélien Hugo Chavez, dont il s’est pourtant beaucoup inspiré. Accueilli à bras ouvert par la plupart des chefs d’Etats lors de ses visites en Europe, ce président indien «bénéficie toujours d’un soutien important à l’international », estimait récemment le sociologue Laurent Lacroix, spécialiste de la Bolivie. Lors d’une présentation à l’IHEAL (Institut des Hautes Etudes d’Amérique latine), ce dernier a rappelé « qu’entre 2006 et 2009 , le soutien financier de la communauté internationale à la Bolivie avait atteint 3,5 milliards de dollars», notamment en provenance de la Banque Mondiale et de la Banque de Développement latino-américaine (CAF).

« Le pays connait depuis 2009 une certaine stabilité politique », estime-t-il, ajoutant que le climat explosif qui a perduré avant 2009, pendant la période de l’Assemblée constituante,  s’est  un peu apaisé. La décennie précédant l’arrivée de Morales au pouvoir avait été, elle , marquée par de nombreux et violents conflits sociaux (guerres du gaz, guerre de l’eau) sans parler des 160 coups d’Etat qu’a enduré le pays depuis son indépendance.

L’effet boomerang de l’autonomie des communautés indiennes

Dès sa prise de pouvoir en 2006, rompant avec des décennies de libéralisme dans ce pays très pauvre et très inégalitaire, le gouvernement Morales a entamé la nationalisation des secteurs stratégiques des hydrocarbures, des mines, de l’électricité etc, dans le cadre d’une politique d’industrialisation à marche forcée qui a conduit à la création d’une dizaine d’entreprises nationales. Il a réussi à résister à la fronde très active des classes aisées de la province de Santa Cruz, la plus développée économiquement. Il a posé les bases d’une politique sociale prévoyant des aides à la scolarisation des enfants, des tarifs préférentiels de l’électricité, la retraite à 60 ans, un service minimum…

Il a aussi mené à bien sa fameuse constitution qui a instauré, en plus de l’espagnol, 36 langues indiennes officielles et fait graver dans le marbre l’autonomie des communautés autochtones, définie ainsi : «droit à l’auto gouvernement des nations et peuples indigènes originaires paysans, dont la population partage un territoire, une culture, une histoire, des langues et une organisation ou des institutions juridiques, politiques, sociales et économiques propres ». Cette autonomie se décline en départements, régions, municipalités et territoires autochtones. « C’est le seul pays de la région à avoir tenté l’expérience », salue Laurent Lacroix.

Cependant, l’alliance, d’abord très constructive, entre le gouvernement Morales et les communautés indiennes autonomes, a aujourd’hui du plomb dans l’aile et menace de se retourner contre son créateur. Notamment parce que «le risque de bureaucratisation guette le processus d’instauration de ces autonomies indigènes et pourrait amplifier les frustrations des peuples autochtones », estime Laurent Lacroix dans une récente publication.

En outre, ces nouvelles organisations se servent de leur pouvoir pour contester et engager une lutte de pouvoir de plus en plus frontale avec les institutions étatiques, souvent pour des questions de territoire ou de préservation de leur environnement. La révolte du Tipnis en 2011 qui a dressé contre lui des milliers d’Indiens s’opposant à un projet autoroutier et dégénéré en conflit national (1) , est une illustration flagrante des multiples contradictions auxquelles le président bolivien est sans cesse confronté : entre respect de la « terre mère » et développement économique, entre ses origines indiennes et sa culture de paysan syndicaliste, entre la défense de la consommation traditionnelle de coca et la lutte contre un narcotrafic en pleine explosion.

Déception des classes populaires

Outre les tensions avec les communautés indigènes, Morales doit faire aussi faire face à la dégradation toujours plus profonde de ses relations avec d’autres de ses soutiens populaires historiques _ les instituteurs, les mineurs, les conducteurs de transports urbains etc _ qui s’impatientent face à des conditions de vie toujours difficiles, et multiplient les mouvements sociaux.

Ces jours-ci, il affronte grèves et manifestations organisées dans plusieurs villes par la Confédération centrale ouvrière bolivienne (COB) qui exige une hausse des salaires supérieure aux 8% proposés par La Paz ainsi qu’une revalorisation des retraites, et qui, d’autre part, soutient les médecins, mobilisés depuis fin mars contre l’augmentation de six à huit heures de leur temps de travail quotidien, qui leur a été imposée. Evo Morales ne l’a pas encore décroché, ce troisième mandat.

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(1) TIPNIS : le projet incriminé est une route de 300 km co-financée par le Brésil, dont l’objectif est de développer la région et de relier les océans Pacifique et Atlantique. Elle couperait en deux la réserve écologique d’Isiboro Secure (1 million d’hectares de forêt primaire amazonienne s’étendant sur les départements de Cochabamba et de Beni), connue sous le nom de Tipnis et habitée par quelque 50.000 natifs indiens. Ceux-ci craignent une dégradation de leur environnement mais aussi l’arrivée massive de cocaleros de l’Etat voisin du Chapare, en quête de nouvelles terres. En aout 2011, plusieurs milliers d’Indigènes ont protesté contre la relance de ce projet ancien par le gouvernement Morales via une marche pacifique mais très médiatisée de plus de 600 km vers La Paz. Elle a été réprimée avec une grande violence par les policiers, violence qui scandalisé tout le pays et contraint Evo Morales à suspendre le projet et à lancer une consultation des habitants en juillet 2012. Une écrasante majorité des 58 communautés consultées se sont prononcées en faveur du projet selon les résultats diffusés début 2013 par le gouvernement, mais la polémique ne s’est pas éteinte pour autant, ni sur les conditions de la consultation et donc la validité de ses résultats, ni sur le futur tracé de la route. Les tensions restent donc très vives.