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Dilma Rousseff est désormais au bord de la destitution,  le Brésil s’enfonce dans la crise

Dilma Rousseff
Dilma Rousseff

Le 11 mai prochain, le Sénat devra confirmer la procédure de destitution de la présidente brésilienne votée dimanche par la Chambre basse. Quant à Lula, il ne pourra sans doute pas jouer les sauveurs, la Cour suprême ayant repoussé son verdict sur son entrée au gouvernement. Pendant ce temps, l’économie du pays se dégrade, comme l’illustre la récente publication d’Euler Hermes. Le point.

Dimanche 17 avril, un pas important a été franchi vers la destitution de la présidente brésilienne. Dans une ambiance proche de la crise de nerfs collective, 367 députés ont voté pour, soit 25 de plus que les 342 (deux tiers) nécessaires, face à 137 députés, de gauche et d’extrême gauche pour l’essentiel, qui ont voté contre et 7 autres qui se sont abstenus. Certains des ministres (actuels et  anciens) de la présidente ont voté pour « l’impeachment » , accroissant encore l’isolement de cette dernière.  Désormais, la balle est dans le camp du Sénat auquel il suffira d’un vote à la majorité simple (en fait un peu plus avec 48 voix sur 81) pour lancer la procédure qui écartera Dilma Rousseff du pouvoir pendant 180 jours au maximum, en attendant la décision finale (nouveau vote avec majorité des deux tiers). La situation est d’autant plus périlleuse pour la présidente qu’elle n’a pas la majorité au Sénat (même si le président de la chambre haute la soutient encore). Le vote du Sénat a été fixé au 11 mai.

Il y a donc le feu au Planalto mais Dilma Rousseff a décidé de se rendre malgré tout, ce vendredi 22 avril, à New York pour la signature à l’ONU de l’accord sur la COP 21. On s’attend à ce qu’elle y prenne la communauté internationale à témoin, et dénonce ce qu’elle et ses partisans du PT (Parti des Travailleurs) appellent «un coup d’Etat sans armes ».

Les numéros deux et trois du pays suspectés de corruption  

Si le Sénat vote la mise à l’écart de Dilma Rousseff, c’est le vice-président, Michel Temer, du PMDB (parti centriste et opportuniste qui a récemment rompu avec la coalition au pouvoir), qui la remplacera et formera un gouvernement de transition durant ces 180 jours. Voire, en théorie, jusqu’à la prochaine élection en cas de destitution.
Certes, tout n’est pas perdu pour la présidente. D’abord parce que, comme l’explique très bien Gaspard Estrada, directeur de l’OPALC (Sciences Po) dans Challenges, la clé du scrutin réside, comme toujours, au Brésil dans un marchandage de postes.  « Le vote dépendra des offres de postes qui seront faites aux sénateurs indécis par Dilma Rousseff et son opposant Michel Temer ».

D’autre part, si la cote de Dilma Rousseff est au plus bas dans le pays, les sondages montrent que le nombre de personnes souhaitant son départ, tout en restant écrasant, a un peu baissé depuis le vote de dimanche (68 à 61%). Ils montrent aussi que les Brésiliens sont tout aussi hostiles aux deuxième et troisième personnage de l’Etat appelés à jouer un rôle majeur en cas de destitution : Michel Temer, vice-président, et Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, PMDB et adversaire farouche de Dilma .

Il faut dire que Michel Temer aussi bien qu’Eduardo Cunha sont tous deux mouillés jusqu’au cou dans le scandale de corruption Petrobras, qui secoue le pays depuis deux ans. Ce qui n’est pas le cas de Dilma Rousseff, jusqu’à présent jamais suspectée d’enrichissement personnel (même si on peut en revanche se demander comment, en tant que ministre de l’Energie, elle a pu tout ignorer des malversations entourant la compagnie pétrolière nationale). Ce qui est en jeu dans sa destitution, c’est le maquillage de comptes publics (autrement dit le transfert temporaire d’une partie des déficits vers les banques publiques) au moment de sa campagne pour sa réélection, considéré donc comme un « crime de responsabilité ».

 

Lula ne peut toujours pas rentrer au gouvernement

 

Cela dit, un des espoirs de la présidente vient de s’évanouir puisqu’hier, la Cour Suprême a de nouveau reporté sine die sa décision concernant la légalité de l’entrée de l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva au gouvernement. Cette nomination était certes censée le mettre cyniquement à l’abri d’une détention provisoire dont le menaçait le juge Sergio Moro, en charge de l’enquête « Lava Jato » sur Petrobras, car Lula est lui-même rattrapé par le scandale. Mais sa nomination au poste de « quasi premier ministre » aurait aussi permis à celui qui fut le héros du pays de mettre tout son talent de négociateur et le reste de son aura dans le méga marchandage qui se joue actuellement. Il est désormais probable que la décision de la Cour, même si elle est positive, arrive trop tard.

Pourtant, même si Dilma Rousseff n’inspire plus confiance à personne, la probabilité désormais grande de sa mise à l’écart ne réjouit aucun analyste, et les déclarations inquiètes sur la période post-destitution se multiplient, en partie à cause de l’absence criante de relève au sein d’un personnel politique massivement décrédibilisé, mais aussi parce que celui ou celle qui reprendra les rênes du pays devra affronter une situation économique très dégradée , et donc prendre des mesures fortement impopulaires, susceptibles d’accroître encore la polarisation de  la population.

Chute de 14% de l’investissement

La récente dégradation du risque par la société d’assurance crédit Euler Hermes, constitue à ce titre un nouvel avertissement. Dans son analyse, la société passe d’abord en revue les maux de l’économie brésilienne, plombée depuis deux ans par la chute des cours des matières premières et qui, après avoir stagné en 2014 et reculé de 3,8% en 2015, «devrait se contracter de nouveau de -3.5% en 2016», alors que l’inflation reste élevée (au dessus de 8% en 2016 selon ses prévisions) et que le réal a fortement baissé. Selon Daniela Ordoñez, économiste spécialiste de l’Amérique Latine chez Euler Hermes, la chute de 14% de l’investissement est particulièrement inquiétante. Le taux d’investissement est aujourd’hui inférieur à 20% du PIB, soit moins que la moyenne régionale. « Le sous-investissement chronique au Brésil, additionné à un protectionnisme accru, un coût du travail élevé, et un système de taxes complexe et punitif, entrave fortement la compétitivité brésilienne », martèle Daniela Ordoñez, qui anticipe une nouvelle hausse de 22% cette année des défaillances d’entreprise (+25% en 2015).

Malgré tout, le pays ne court pour le moment aucun risque de défaut. Ses réserves de changes peuvent couvrir plus d’un an d’importations et sa dette extérieure ne pèse que 15% du PIB. Autre facteur encourageant, les IDE ne se sont pas écroulés « A l’heure actuelle, la balance nette des IDE (flux entrants- flux sortants) s’élève à 62 milliards de dollars, montant suffisant pour couvrir l’intégralité du déficit courant du Brésil», estime Euler Hermes.

Quant à l’onde choc de cette triple crise économique, politique et institutionnelle dans la région, la société d’assurance crédit estime qu’elle ne devrait affecter que l’Argentine, l’Uruguay, le Panama et la Bolivie.