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Hollande à Cuba : au-delà du renforcement des liens bilatéraux, Paris vise les pays de l’ALBA

Rencontre à La Havane entre François Hollande et Raul Castro le 11 mai 2015
Rencontre à La Havane entre François Hollande et Raul Castro le 11 mai 2015

Le président français était hier en visite officielle à Cuba. Dans ses bagages, une impressionnante délégation d‘entreprises, attirées par ce marché qui s’ouvre progressivement et encouragées par le dégel entre l’île communiste et Washington, après plus de 50 ans d’embargo.

Après les Antilles françaises et avant Haïti, François Hollande était hier à Cuba, déplacement d’ores et déjà qualifié sur tous les tons d’«historique» puisqu’il s’agissait de la première visite officielle d’un président français depuis l’indépendance du pays en 1898, mais aussi de la première d’un chef d’Etat étranger depuis l’annonce, en décembre dernier, du dégel progressif entre La Havane et Washington. Objectif officiel de ce voyage : donner un nouvel élan aux relations bilatérales et contribuer à la poursuite du rapprochement entre Cuba et l’Union européenne dans la perspective, notamment, du prochain sommet entre l’UE et la CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes) en juin prochain.

François Hollande a rencontré des universitaires et des étudiants à l’Université de la Havane, inauguré le Palacio Gomez, nouveau siège de l’Alliance française de la Havane, discuté et dîné avec son homologue Raul Castro, le point d’orgue de cette visite étant la rencontre avec Fidel Castro, d’ailleurs critiquée de part et d’autre, d’autant que la question des droits de l’Homme a été plutôt éludée durant ces trente heures à Cuba.
Mais de toute façon, cette visite n’était pas seulement destinée à offrir au président et aux sept ministres qui l’accompagnaient l’intense plaisir de ce «moment d’histoire». Elle avait aussi une très nette dimension business, comme en a témoigné la taille de sa délégation : nombreux élus, présidents d’université et de centres de recherche, mais surtout, une trentaine de dirigeants d’entreprises (1) qui auraient pu être plus nombreux encore si tous les candidats au voyage avaient été retenus.

Une fenêtre de tir

L’enjeu est en effet clairement de profiter de la double opportunité que constituent d’une part l’ouverture économique progressive initiée depuis quelques années par le régime communiste cubain (notamment via la création de petites entreprises privées ou la récente réforme sur les investissements étrangers) et, d’autre part, le nouveau processus de rapprochement cubano-américain. Processus rythmé par des annonces régulières d’Obama depuis décembre : élargissement des catégories d’Américains autorisés à se rendre à Cuba, hausse du montant maximal des transferts que les exilés cubains peuvent envoyer à leur famille, retrait programmé de Cuba de la liste noire des pays soutenant le terrorisme ou, tout récemment, réouverture de lignes de ferries entre la Floride et l’ile communiste. Mais l’aboutissement de ce processus n’est pas pour demain puisque, selon la plupart des observateurs, la levée de l’embargo américain, instauré en 1962, ne sera sans doute pas votée par le Congrès avant l’élection présidentielle de 2016, voire pas avant le départ du pouvoir de Raul Castro en 2018.
En attendant la déferlante annoncée d’investissements américains, il y a donc, pour les autres et notamment pour la France, une fenêtre de tir à ne pas manquer. Plusieurs poids lourds français sont déjà présents dans l’île, pour certains depuis des décennies, tels Pernod Ricard, Total, Alstom, Bouygues, Soufflet, Accor ou CMA- CGM, parfois au prix de contorsions juridiques pour contourner la loi américaine de Helms Burton (en vertu de laquelle BNP Paribas a été lourdement sanctionnée) . La concurrence est d’ores et déjà rude, venant d’Europe, de Chine et l’Amérique latine, Venezuela mais aussi Brésil en tête. A ce jour, la France n’est que le dixième partenaire commercial de Cuba, et le quatrième investisseur étranger avec 6% du total des IDE (l’Espagne, le Canada, et l’Italie en raflant 65% à eux trois). La marge de progression est donc réelle et le régime castriste est demandeur, surtout depuis que son principal soutien, le Venezuela, se débat dans la crise.

Sur ce marché «encore vierge», où les besoins sont immenses, où Internet n’est autorisé que depuis peu (à un prix prohibitif) avec un wi-fi balbutiant mais où la population est très bien éduquée et formée, le gouvernement français a identifié plusieurs secteurs particulièrement porteurs : le tourisme, en plein boom _ après 3 millions de visiteurs l’an dernier, Cuba s’équipe à tour de bras pour en accueillir 1 million supplémentaire_ la santé et les biotechnologies, le transport et la logistique, l’énergie. Il met aussi en avant les atouts spécifiques de la France, notamment son vote systématique à l’ONU contre l’embargo depuis 1991 ou l’ouverture cette même année d’une ligne d’assurance-crédit garantie par la Coface, alors que Cuba était affaibli par l’effondrement de l’URSS. De quoi établir un climat de confiance. La France bénéficie aussi, même si les patrons français n’en sont pas toujours conscients, de son passé révolutionnaire, atout non négligeable qui lui donne, encore aujourd’hui, un certain prestige à Cuba et dans une bonne partie de l’Amérique latine.

Les acquis et les atouts des entreprises françaises

Dans le dernier numéro de la Revue des Conseillers du Commerce extérieur, Stéphane Witkowski, président du conseil de gestion de l’Institut des Hautes études d’Amérique latine (IHEAL) a dressé un tableau extrêmement précis et détaillé des opportunités qui s’ouvrent aux entreprises françaises à Cuba, engageant ces dernières, PME voire TPE comprises, à « prospecter plus activement ce marché», promis selon lui à « devenir à terme, une plate forme exportatrice de services à haute valeur ajoutée ».

Total et CMA-CGM se renforcent

Avant le 11 mai, on soulignait dans l’entourage du président français n’attendre « aucune retombée économique directe de cette visite», censée privilégier «la relation bilatérale dans son ensemble ». Quelques contrats ont cependant été signés, dont l’un par l’armateur CMA-CGM (présent dans l’île depuis 15 ans), qui porte sur la gestion et le développement d’une plateforme logistique dans la très prometteuse future zone franche de Mariel, en partenariat avec AUSA, première société logistique cubaine.

De son côté, Total a signé avec le monopole cubain CubaPetroleo (Cupet) l’extension d’un préaccord sur la vente de produits pétroliers, (le groupe a en revanche démenti avoir signé un accord d’exploration pétrolière en mer annoncé par la télévision cubaine). Accor, qui gère déjà deux Mercure, a signé avec la société locale Gran Caribe pour la gestion du Pullman Cayo Coco, qui ouvrira en novembre.

En juillet dernier, Orange Horizons Digital avait, de son côté, signé très discrètement un accord avec l’unique opérateur cubain Etecsa, prévoyant d’offrir ses services (téléphones et équipements) et de partager son savoir-faire, mais aussi de créer à Cuba un institut de formation aux technologies et aux services telecoms centré sur l’Amérique latine et les Caraïbes. Certes, Orange va devoir désormais se préparer à faire face à la concurrence des Américains, très désireux de développer internet et les télécoms sur l’ile.

Cuba, porte d’entrée des pays de l’ALBA

Pour beaucoup, le potentiel de cette île de 11 millions d’habitants doit cependant être relativisé, d’autant que le financement des projets reste complexe, Cuba n’ayant toujours pas accès aux marchés internationaux. Certes, mais «au-delà du marché cubain, la France vise aussi ceux de l’ALBA », estime un industriel français. L’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques) a été fondée en 2004 par le président vénézuélien Hugo Chavez et Raul castro, pour s’opposer à la zone de libre échange des Amériques prônée par George Bush (le projet a avorté en 2005). Aujourd’hui, cette Alliance compte 11 membres dont Cuba, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et plusieurs pays des Caraïbes. Depuis la mort de Chavez, et la chute du cours du pétrole qui le prive de sa rente, le Venezuela n’est plus le moteur de l’ALBA. Mais Cuba reste, lui, très influent dans l’Alliance, au moins idéologiquement. Etre adoubé par l’ile castriste peut donc aussi ouvrir des portes dans ces pays de gauche radicale jaloux de leur souveraineté, mais soucieux d’accélérer leur développement. «Beaucoup de ces pays souhaitent, par exemple, recouvrer la souveraineté de leurs télécommunications, actuellement aux mains d’opérateurs étrangers, comme le géant mexicain America Movil de Carlos Slim ou Telefonica », poursuit un bon connaisseur du dossier. Dans une telle hypothèse, Orange aurait sans doute une carte intéressante à jouer, en offrant ses services. D’autant que l’opérateur français est désormais bien implanté en Amérique latine, via ses diverses filiales. Ainsi Orange Business Services compte 400 salariés au Brésil et des implantations un peu partout pour gérer ses clients dont les aéroports ; Orange Marine pose des câbles sous-marins dans les Caraïbes ; l’espagnol Jazztel racheté l’an dernier dispose d’une présence forte au Chili et en Colombie ; quant à Orange Horizons, elle est installée au Mexique et au Brésil pour la vente en ligne sur orange.com et draine quelque 20 millions de visiteurs uniques par mois via ses sites starmedia.com et rincondelvago.com.

Les pays de l’ALBA représentent aussi des opportunités dans beaucoup d’autres domaines, qu’il s’agisse d’infrastructures, d’énergie ou de services. Des marchés lointains et difficiles, mais à fort potentiel.

Anne Denis

(1) Dirigeants d’entreprises membres de la délégation.
Santé et Biotechnologies : Dr Philippe GREDY, Vice-président de LFB ; Philippe POULETTY, PDG d’Abivax – Truffle Capital.
Energies : Jérôme DOUAT, PDG de VERGNET S.A ; Pierre GIRARD, Président de VALOREM ; Antoine MEFFRE Président d’Eco-Tech Ceram ; Eric SCOTTO, fédérateur aux énergies renouvelables et PDG d’AKUO Energy ; Denis SIMONNEAU, membre du comité exécutif en charge des relations européennes et internationales d’Engie (ex GDF –Suez) ; Serge USSORIO, PDG de M2E.
Agro-alimentaire : Jean-Pierre BLANC, PDG de Malongo ; Thierry BLANDINIÈRES Directeur général d’Invivo ; Francis MAUGER, Directeur exécutif développement et immobilier du groupe Carrefour ; Pierre MONTEUX Représentant de Banamart ; Alexandre RICARD, PDG de Pernod Ricard ; Jean-Michel SOUFFLET, PDG de Soufflet ; Jacques PETRY, Directeur général d’Albioma ; Serge VARSANO, PDG de Sucre et Denrées.
Télécommunications : Pierre LOUETTE, Directeur général adjoint et Secrétaire général du groupe Orange
Transport : Dominique VASTEL, Directeur adjoint à la direction internationale du groupe SNCF ; Frédéric GAGEY, PDG d’ Air France ; Rodolphe SAADÉ, PDG de CMA-CGM.

Crédit, assurance, banque : Jean-Louis BANCEL, Président du Crédit coopératif, Jean-Paul BENOÎT, Président des mutuelles de France ; Etienne CANIARD, Président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française.
Environnement : François GOURDON, Président du Conseil d’administration d’Environnement S.A., Alain SADOUN, PDG de SOMEZ.
Opérateur de commerce international : Perrine BUHLER, Directeur général de DEVEXPORT.
Bâtiments et travaux publics : Olivier-Marie RACINE, Directeur général de Bouygues Bâtiment international ; Pierre HERVÉ, Directeur général d’Industrie Bois SAS