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Caracas tourne toujours plus le dos aux Occidentaux

Mahmoud Ahmadinejad reçu par Hugo Chavez à Caracas en janvier 2012
Mahmoud Ahmadinejad reçu par Hugo Chavez à Caracas en janvier 2012

Chine, Belarus, Iran : fort de la manne pétrolière du pays, Hugo Chavez multiplie les accords et les projets d’investissements avec les rivaux et les adversaires de l’Occident.

C’est une expérience assez simple à réaliser dans un hôtel de Caracas, ou à l’aéroport international Simon Bolivar : comptez les Chinois. Le résultat révèle sans ambiguïté l’intérêt de Pékin pour le Venezuela. Rien de fortuit évidemment, puisque ce dernier détient les plus importantes réserves prouvées de pétrole de la planète (295 milliards de barils, juste devant l’Arabie saoudite) et que la Chine est depuis trois ans, devant les Etats-Unis, le principal importateur mondial d’hydrocarbures.

L’intérêt est réciproque. Hugo Chavez cherche avec détermination à s’allier aux rivaux, voire aux ennemis des pays occidentaux, comme l’illustrent ses propositions spectaculaires d’héberger Mouammar Kadhafi l’an dernier, ou l’accueil fait à Mahmoud Ahmadinejad en janvier dernier. C’était le douzième entretien entre les deux hommes. Il y a là une dimension sans doute idéologique, puisque Chavez entend incarner le « socialisme du XXIème siècle », mais aussi un souci de réduire la dépendance de Caracas envers clients et fournisseurs occidentaux. Par exemple, une petite moitié des débouchés pétroliers du Venezuela, soit presque un million de barils par jour, dépendent de ces Etats-Unis qu’Hugo Chavez agonit d’insultes dans ses discours fleuves. Des Etats-Unis qui vont au demeurant réduire leurs importations, au point devenir peut-être exportateurs net à l’horizon 2025, grâce au développement du pétrole de schiste.

La Chine deuxième partenaire commercial du pays

Le Venezuela a déjà considérablement renforcé ses liens avec la Chine. Caracas et Pékin ont signé une série d’accords commerciaux ces dernières années, portant notamment sur la certification et l’exploration de la ceinture de l’Orénoque par la firme chinoise CITIC (China international Trust and Investment Corp). Pékin, qui est depuis quatre ans le deuxième partenaire commercial du pays, a aussi accordé des crédits pour la construction de logements et de chemins de fer et a prêté entre 30 et 42 milliards de dollars, selon les sources, en échange d’une garantie d’approvisionnement en pétrole. Caracas a aussi attribué à CITIC en septembre dernier les droits d’exploitation d’une des plus grandes mines d’or du monde, Las Cristinas, droits détenus jadis par un groupe canadien, Crystallex, mais révoqués sans explication en 2011. Crystallex, qui évalue le potentiel de la mine à 500 tonnes d’or, réclame 3 milliards de dollars de compensation devant une cour d’arbitrage internationale.

Projets multiples avec le Belarus

Autre pays, cette fois paria en Occident, avec qui le Venezuela s’entend au mieux, le Belarus. Les deux pays ont signé des accords lors d’une visite du président Alexandre Loukachenko en juin dernier, pour la construction d’un gazoduc entre Barinas et Barquisimeto, l’exploitation de gisements de gaz sous le lac de Maracaibo, le lancement d’une centrale thermoélectrique dans l’Etat de Barinas, la construction de logements dans celui de Miranda, ou des projets agro-industriels dans les Etats de Zulia, Barinas, Bolivar et Anzoategui.

L’alliance avec l’Iran

Enfin, le Venezuela a tissé des liens étroits avec l’Iran, illustré par la présence d’Iraniens portant passeport venezuelien à des postes élevés au sein du monopole public du pétrole PDVSA, du ministère de l’Intérieur ou des entreprises minières, dit-on de bonne source à Caracas. Téhéran a promis de tripler la flotte de tankers de PDVSA et obtenu les droits d’une mine d’or, ainsi que d’une usine de tracteurs encore non opérationnelle dans le bassin de Roraima, ce qui inquiète certains analystes à Washington (mais pas Barack Obama, au vu d’une récente déclaration plutôt sereine). Le bassin de Roraima est riche en uranium. Preuve du caractère sensible de cette coopération, « il est désormais impossible de survoler la zone », atteste un homme d’affaires pilote d’avion, sous couvert d’anonymat.

Restent à savoir si ces projets sortiront de terre, Hugo Chavez étant un expert dans l’art d’inaugurer des chantiers interrompus peu de temps après, comme l’illustrent nombre de projets d’infrastructures, les retards du programme de construction de logements (accéléré subitement deux mois avant la présidentielle du 9 octobre dernier) ou le fait que sur les treize hôpitaux dont se targue le régime, il est impossible de trouver la localisation exacte de plus de trois. Caracas affichait en 2004 l’objectif de fournir 1 million de barils par jour à la Chine à l’horizon 2012, mais n’en fournit aujourd’hui officiellement que 640 000. La réorientation stratégique du pays ne s’avère pas toujours couronnée de succès, comme en témoignent des Occidentaux en poste à Caracas qui se délectent de la médiocre qualité ou des dépassements de délais des chantiers réalisés par les Chinois, les Iraniens ou les biélorusses, qui doivent sous-traiter discrètement à des entreprises occidentales. De bonne source, le Bélarus sous-traite ainsi une partie de ses opérations à des Français, l’Iran à des Néerlandais et le Vietnam à des Canadiens.

Frédéric Lass, envoyé spécial à Caracas