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Le Mexique replonge dans les filets du PRI

Le candidat du PRI, Enrique Peña Nieto a été élu président le 1er juillet dernier, entérinant le retour au pouvoir du vieux parti hégémonique mexicain. Malgré les promesses de renouveau, la voie prise par le pays est incertaine. D’autant que la gauche dénonce une fraude électorale massive et va contester légalement l’élection.

Le PRI (parti révolutionnaire institutionnel), parti qui a dominé la vie politique du Mexique entre 1929 et 2000 _ ce que l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa avait appelé « la dictature parfaite » _ est donc de retour au palais présidentiel de Los Piños, après une parenthèse de douze ans. Symbole pour de nombreux Mexicains de clientélisme et de corruption, le PRI est en effet sorti vainqueur des urnes dimanche dernier, lors de ce scrutin majoritaire à un tour. Son candidat Enrique Peña Nieto a remporté un peu plus de 38 % des suffrages des 79 millions d’électeurs, devant le candidat de la gauche Andrés Manuel López Obrador, dit «AMLO», du Parti de la révolution démocratique (PRD) (31,6%), la candidate du parti de droite sortant (PAN) Josefina Vázquez Mota (25,4 %), et Gabriel Quadri (2,3 %), du Parti Nouvelle Alliance (Panal, droite).

La gauche a aussitôt contesté la légitimité de cette élection, dénonçant des achats de votes massifs, et exigé le recomptage. L’Institut fédéral électoral (IFE) a décidé de le faire pour plus de la moitié des bulletins mais les résultats après ce recomptage partiel, rendus publics vendredi, n’ont quasiment pas modifié les résultats. Le contraire eût été étonnant : compte tenu de l’écart entre les deux premiers candidats, il était peu probable que ce nouveau décompte bouleverse la donne. Cela aurait pu l’être en 2006, quand l’écart entre Lopez Obrador, déjà candidat, et Felipe Calderon, le président sortant, n’était que de 0,56%. Mais la loi électorale d’alors ne prévoyait pas le recomptage des bulletins. Le candidat du PRD avait contesté le vote, poussant ses partisans à occuper le centre de Mexico pendant des semaines, mais le Tribunal fédéral électoral avait finalement validé cette élection entachée de doutes.

Le scrutin de 2012 souffre, lui aussi, de forts soupçons de fraudes malgré l’écart conséquent entre le vainqueur et son suivant. Les témoignages d’achats de vote sont nombreux (par exemple en échange d’une photo du bulletin prise au portable). Le scandale se concentre autour de la chaine de supermarchés Soriana, dont les clients auraient reçu des cartes-cadeaux prépayées de la part du PRI, en échange d’une photocopie de leur carte d’électeur. Pratiques naturellement démenties par Soriana et par le PRI. « On peut affirmer ce que l’on veut, encore faut-il présenter des preuves », a ainsi déclaré Enrique Peña Nieto au quotidien espagnol El Pais.

Invalidation peu probable

Et maintenant ? Les opposants à Enrique Peña Nieto continuent de manifester avec virulence, par dizaines de milliers dans les rues de Mexico mais aussi de Monterey ou de Guadalajara. Il y a de nombreux partisans du leader de la gauche, AMLO, mais aussi beaucoup de jeunes du mouvement «  »Yo soy 132″ (« Je suis le 132e« ) qui se dit apolitique. Ce mouvement étudiant est né le 11 mai quand le candidat du PRI en campagne s’est rendu à l’université ibéro-américaine, où il s’est fait carrément virer de l’enceinte par un bon nombre d’étudiants en colère. Humilié, le PRI a aussitôt mis ce camouflet sur le compte d’agitateurs politiques étrangers à l’université. Cette thèse, relayée par les médias, a donc conduit 131 étudiants de l’université à assumer nommément l’opération sur Internet, déclenchant un mouvement de solidarité beaucoup plus large chez les jeunes, se revendiquant par milliers comme «le 132ème »  étudiant.

De son côté, la candidate du parti sortant, le PAN, a demandé à la commission électorale « un examen détaillé des dépenses de campagne qui, à l’évidence, ont dépassé les limites légales, ce qui était également associé à des achats de voix », assurant : « il y a eu clairement dans cette élection des iniquités qui ont eu un effet décisif sur les résultats du vote ». En cause également, le parti pris de grands média en faveur du candidat du PRI, à commencer par le tout puissant groupe audiovisuel «Televisa ». Les frais de campagne de Peña Nieto frôleraient, selon plusieurs estimations, les 50 millions de dollars, soit plus du double du montant légalement autorisé. Felipe Calderon lui-même, qui avait d’abord reconnu la victoire du PRI, a fini par évoquer vendredi « les accusations portant sur l’usage de ressources indues générant une inégalité », déclarant : «si cela n’est pas traité de manière adéquate, il y aura des raisons pour ne pas accepter ou au moins de protester ». Le résultat de l’élection doit être officiellement proclamé le 6 septembre, par le Tribunal fédéral électoral. A priori, l’hypothèse de telle irrégularités pourrait le conduire à invalider le scrutin, comme va le demander en justice le PRD. Mais la plupart des analystes n’y croient pas _ il faudrait notamment prouver que les achats de vote portent sur 25% des urnes du pays et qu’ils sont la cause de la victoire de Peña Nieto_ et parient seulement sur la poursuite de l’agitation jusqu’au 6 septembre.

Il est donc fort probable qu’Enrique Peña Nieto _ fringuant playboy de 45 ans, mais ex-gouverneur aguerri de l’Etat de Mexico entre 2005 et 2011_ devienne, le 1er décembre prochain, le prochain président du Mexique. Durant toute la campagne, lui et son équipe n’ont cessé d’affirmer que le PRI avait changé et rompu avec ses méthodes douteuses. «Les Mexicains ont donné une seconde chance à notre parti. Nous sommes une nouvelle génération (…) Je serai un président démocrate. Il n’y a pas de retour au passé», a-t-il déclaré le soir de son élection, promettant la transparence. Ses opposants dénoncent néanmoins ses liens étroits avec le monde des affaires et celui des médias _ son récent mariage avec une vedette de télénovelas n’arrange rien_ et la vacuité de son discours pendant toute la campagne. Pour certains, il n’est qu’une marionnette aux mains d’un vieux parti toujours très puissant dans le pays profond. D’autres, soulignant sa proximité avec l’ex-président priiste Carlos Salinas, le voient comme un pur produit du PRI et non comme le fruit d’un parti rénové et démocrate . «Il n’y a pas de nouveau PRI», a déclaré à l’AFP un membre de la Commission mexicaine de défense et promotion des droits de l’homme, Daniel Joloy, qui rappelle à titre d’exemple que Peña Nieto a violemment réprimé dans le sang, en 2006, des manifestations dans la ville d’Atenco.

L’incertitude sur l’avenir est d’autant plus grande qu’on ne connait pas encore les résultats des législatives qui se sont également tenues dimanche, renouvelant les 500 députés et les 128 sénateurs. Que le PRI obtienne ou non la majorité au Congrès peut changer la donne de façon radicale dans la conduite future du pays. Car jusqu’à présent, les promesses électorales de son champion, plutôt centristes, sont restées assez floues.

A court terme, on peut tirer deux premières leçons de ce scrutin : il illustre d’abord l’échec cinglant du parti libéral PAN qui, au pouvoir depuis 2000, d’abord avec Vicente Fox puis avec Felipe Calderon, n’a pas su imposer ses réformes faute de majorité au Congrès certes, mais aussi faute de savoir nouer des alliances. Il a surtout échoué dans ce qui fut le grand combat de Calderon : enrayer la main-mise sur le pays des cartels de la drogue. L’insécurité actuelle dans le pays est effrayante avec plus quelque 60.000 morts violentes depuis 2006, année du début de la « guerre » du président sortant contre les narcotrafiquants, et ces derniers sont toujours là. L’autre enseignement _ en supposant que la fraude n’a pas pesé assez lourd pour inverser les résultats _ c’est sans doute l’erreur politique d’AMLO en 2006, qui a raté d’un cheveu une élection qui lui a peut-être été réellement volée, mais qui a alors choisi la réaction la plus radicale, cherchant à paralyser le pays pendant des mois et faisant montre finalement de peu de maturité politique, au lieu de préparer sérieusement sa revanche, fort du crédit généré par son score. Il s’est ainsi aliéné bon nombre de ses sympathisants modérés. Certes, il est revenu en 2012 apaisé et plus légaliste mais le mal était fait .

Le Mexique est donc peut-être reparti pour 6 ans avec ses institutions fragiles et son système politique bancal. De quoi désespérer bon nombre de citoyens, à commencer par la jeunesse, mais sans doute pas les investisseurs, confortés par la résistance actuelle de l’économie mexicaine et par l’élection d’un président plutôt «business friendly », bien différent sans doute de ce qu’aurait pu être, à leur égard, AMLO président.

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